| Le recul de l'arme
Introduction
Dans les précédents articles, nous avons parlé de la mesure de la vitesse des projectiles. Nous avons également donné les indications nécessaires à la réalisation d'un dispositif électronique permettant ces mesures.
Par ailleurs, sur le plan théorique du moins, nous avons tous la capacité de mesurer, par nos sens, cette vitesse : il s'agit de la sensation ressentie, au départ du coup, sur la main et le bras pour le pistolier, sur l'épaule pour le carabinier. En effet, le recul est directement lié à la vitesse du projectile.
Mais soyons réalistes, je ne pense pas qu'il ait beaucoup de tireurs dont les sens soient assez aiguisés pour qu'ils puissent évaluer, avec une précision même très relative, la vitesse d'éjection du projectile qu'ils tirent. Cependant, tout tireur a constaté que l'effort sur la main, sur le bras ou sur l'épaule, dépendait largement de la masse du projectile et de sa vitesse; les projectiles rapides et lourds sollicitant plus le "support" que les autres projectiles.
Le tireur connaît le recul, tout le monde en parle, mais sous un aspect de simplicité, se cachent des phénomènes complexes qui sont étroitement liés à la balistique interne et à la structure du support de l'arme (main, bras et épaule, etc.). Nous allons tenter de comprendre un peu mieux le phénomène.
Remarque : on parle souvent de force de recul. Mais il y a lieu de distinguer la force de recul qui agit sur l'arme et qui est clairement identifiable, de la réaction du support (tireur ou chevalet) qui elle, dépend essentiellement des caractéristiques de ce dernier (masse et rigidité).
Le recul du point de vue théorique
Principe
Le recul est lié à une loi de physique dont la forme élémentaire a été vue par chacun à un moment ou à un autre de son cursus scolaire. Elle se résume par :
Action = Réaction
Les applications et conséquences pratiques de cette règle sont nombreuses; la propulsion des avions en est un exemple. Par exemple, tout le monde a eu l'occasion de constater, parfois à ses dépens, qu'un passager qui saute sur un ponton depuis un bateau, repousse l'embarcation en sens opposé à la direction du saut. Si le bateau est léger, il pourra s'éloigner suffisamment vite pour que le dit passager rate son objectif et tombe à l'eau !
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| Þ | |
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Les (mauvaises) surprises du recul !
Le cas qui nous intéresse
Examinons ce qu'il en est dans le cas d'une arme conventionnelle où le projectile est propulsé par la pression crée par la combustion d'une poudre dans une enceinte fermée :
Les forces transversales, dues à la pression engendrée par la combustion de la poudre, sont symétriques; elles s'équilibrent et n'interviennent donc pas dans le recul. Dans le sens longitudinal, la pression donne naissance à deux forces : l'une appliquée sur la base du projectile et dirigée vers la bouche du canon et l'autre, appliquée sur la culasse et dirigée en sens opposé. La pression étant sensiblement constante dans la chambre et les surfaces étant les mêmes, les deux forces sont donc égales en intensité (si on néglige les frottements), mais opposées. On retrouve :
Force qui agit sur le projectile = Force qui agit sur l'arme
autrement dit : Action = Réaction
Connaissant les variations en fonction du temps de la force qui agit sur le projectile, on peut aisément calculer la vitesse de ce dernier au temps t :
| | Þ | |
|
On peut intégrer :
Par un chemin identique, on peut également calculer la vitesse que prendra le l'arme :
Mais on vient de voir que les deux forces sont identiques; dès lors, des deux expressions précédentes, on tire ce résultat fondamental dans l'étude du recul :
qui peut s'écrire : |
avec
|
Q = quantité de mouvement; s'exprime en Kg.m/s
M = masse
V = vitesse
|
Autrement dit : La quantité de mouvement de l'arme est égale à la quantité de mouvement du projectile
Plus que la force de recul, la quantité de mouvement du projectile quantifie les effets du recul sur le tireur. En effet, si l'importance de la force de recul peut éventuellement indisposer le tireur, elle n'aura que peu d'effet sur le mouvement de l'arme au départ du coup, donc de la précision. Par contre, ce mouvement est directement influencé par la quantité de mouvement du projectile.
Ordres de grandeur
Exprimées en Kg.m/s, les ordres de grandeur des quantités de mouvement des projectiles à la sortie du canon sont :
Armes à air comprimé : | 0.08 - 0.10 |
Armes petit calibre : | 0.70 - 1.00 |
Armes de poing gros calibre : | 2.50 - 3.50 |
Armes longues gros calibre : | de l'ordre de 10 |
Le recul du point de vue pratique
Dans une arme, le recul est principalement dû à la mise en mouvement du projectile et à l'éjection des gaz de combustion par la bouche du canon. De plus faibles composantes sont liées au mouvement des pièces mécaniques, notamment de la culasse, aux oscillations dues aux déformations de l'arme et particulièrement du canon. De plus, la mise en rotation du projectile crée un moment de torsion en sens inverse de la rotation du projectile; cet effet est en général faible.
Concentrons notre attention sur les deux causes principales : la mise en mouvement du projectile et l'éjection des gaz.
Recul lié à la mise en mouvement du projectile
Chronologiquement, une fois le percuteur déverrouillé, les principales étapes du tir se déroulent ainsi (nous y reviendrons plus en détails lorsque nous aborderons la balistique intérieure) :
1. | Le percuteur se met en mouvement; son accélération est liée à la raideur du ressort de percussion, à sa précontrainte, ainsi qu'à la masse des pièces mises en mouvement (ressort et percuteur); cette accélération diminue légèrement avec le temps, le ressort se détendant. |
2. | Le percuteur arrive sur le fond de la douille (en principe l'amorce). Il est brutalement ralenti et sa vitesse tombe à zéro. |
3. | L'amorce s'allume. |
4. | La charge propulsive s'enflamme à son tour. Du point de vue du recul tout est calme. La pression augmente rapidement dans la douille qui se déforme. |
5. | La balle commence à se déplacer légèrement pour aller s'incruster dans l'entrée du canon. |
6. | Alors que la poudre brûle encore, la pression dans la chambre à cartouche atteint une valeur suffisante pour forcer la balle dans le canon (la force nécessaire est appelée force de forcement). Parallèlement, la balle est mise en rotation. |
7. | Alors que la poudre finit de brûler (ce n'est pas toujours le cas, il arrive que la combustion continue après que la balle ait quitté le canon) la balle est accélérée très rapidement. Son accélération passe par un maximum, puis diminue car le volume occupé par les gaz de combustion augmente et, par conséquent, la pression diminue. |
8. | Quelques instants après la mise en mouvement de la balle, l'air contenu dans le canon commence à s'écouler hors de l'arme. |
9. | La balle quitte l'arme. Dès ce moment, le recul dû à la balle devient nul. |
10. | Les gaz de combustion s'échappent par la bouche. La pression chute rapidement. Après quelques oscillations autour de la pression atmosphérique, la pression intérieure dans l'arme est égale à la pression ambiante. |
Remarques : Sur une arme automatique ou semi-automatique, parallèlement à l'accélération du projectile, la culasse se met en mouvement, amorçant ainsi la phase de recharge. Plusieurs techniques sont utilisées, mais en général cette opération conduit à une perte de gaz, donc à une diminution de la vitesse du projectile, ainsi qu'à une diminution du recul, par le fait de la mise en mouvement d'une pièce massive en sens opposé.
Allure de la force de recul en fonction du temps
(les échelles ne sont pas respectées pour améliorer la lisibilité du graphique)
Recul lié à l'éjection des gaz
La force générée par l'éjection d'un fluide se calcule par :
= débit-masse (= quantité de matière éjectée par unité de temps)
= vitesse d'éjection
La quantité de mouvement qui résulte de l'éjection des gaz est :
Le calcul est assez difficile puisque la pression dans le canon, donc et , varient très rapidement. On peut, par simplification, poser :
|
= masse éjectée
= vitesse moyenne d'éjection des gaz |
Remarque : La masse de gaz éjectée par une arme à CO2 est sensiblement plus élevée que celle éjectée par une arme à air comprimé, il en découle que les "signatures" du recul de ces deux types armes sont notablement différentes.
La vitesse de recul
La vitesse de recul figure souvent parmi les caractéristiques d'une arme. Pour une munition donnée, elle est directement liée à la masse de l'arme et donne une idée de la "douceur" de cette dernière. Elle est calculée dans l'hypothèse où toute la quantité de mouvement liée à la mise au lancement de la balle et des gaz de combustion servirait à mettre l'arme en mouvement. C'est la vitesse théorique qu'atteindrait une arme laissée sans support et qui ferait feu.
Au vu de ce que nous avons précédemment écrit, la conservation de la quantité de mouvement permet de poser :
|
(le signe moins provient du fait que la vitesse de recul est dirigée en sens opposé à celle de la balle) |
On en tire :
Ainsi, le rapport entre la vitesse de recul et celle de la balle est sensiblement égal à l'inverse du rapport des masses.
Pour le calcul, on peut admettre les valeurs suivantes :
- » 1200 m/s pour une poudre moderne
- » 600 m/s pour de la poudre noire
La masse de gaz est bien évidemment pratiquement égale à la masse de poudre !
La vitesse de recul vaut entre 1 et 2 m/s pour un pistolet 22 LR, de 2 à 4 m/s pour un pistolet gros calibre. Elle est généralement nettement plus faible pour une carabine, mais cette notion est moins utilisée dans cette catégorie d'armes.
Calcul (très approximatif) de la force moyenne qui agit sur l'arme
La quantité de mouvement de la balle est égale à la quantité de l'arme, qui elle-même est égale à l'impulsion subie par l'arme. On en déduit :
t = temps pendant lequel l'arme est soumise à la force F; c'est le temps que met la balle pour parcourir le canon. Si le projectile est uniformément accéléré dans le tube, on obtient :
| L = longueur du canon |
et finalement :
| = | |
ou en introduisant la quantité de mouvement :
Ainsi, on constate que la force moyenne de recul est proportionnelle à la masse du projectile et au carré de la vitesse de ce dernier.
A titre d'ordres de grandeur :
Type d'armes |
Masse du projectile |
Vitesse du projectile |
Quantité de mouvement [Kg.m/s] |
Force moyenne de recul [N] |
Pistolet air comprimé |
0.0005 |
150 |
0.08 |
28 |
Carabine air comprimé |
0.0005 |
180 |
0.09 |
14 |
Pistolet 22 LR |
0.0025 |
300 |
0.75 |
563 |
Pistolet gros calibre |
0.009 |
300 |
2.70 |
2'025 |
Carabine gros calibre |
0.012 |
850 |
10.20 |
7'225 |
On constate que les forces de recul sont considérables (plus de 50 Kg* pour un pistolet 22 LR !). Cependant, comme elles ne s'appliquent que pendant des temps très courts, elles restent supportables pour le tireur (sauf si l'appui est mauvais
).
Distance parcourue par l'arme et son support
L'équation du mouvement de l'ensemble arme-support s'écrit :
avec : | M = masse de l'ensemble arme-support |
| = vitesse prise par le support |
| = force de réaction de l'appui |
| L = longueur du canon |
d'où, avec toutes les hypothèses simplificatrices voulues :
| avec | |
On obtient la distance parcourue par l'ensemble support-arme au moment où la balle quitte canon :
et
En conclusion : le déplacement de l'appui est d'autant plus important que :
- la masse de l'ensemble arme-support est élevée
- la force de réaction de l'appui est faible
D'où l'intérêt primordial d'un bon épaulement de l'arme et d'un bon "chaussage" de crosse.
Remarque : en réalité, on ne peut pas totalement dissocier les forces qui s'appliquent sur l'arme de celles qui s'appliquent sur le support, les deux interagissant l'un sur l'autre (l'arme agit sur le support et le support sur l'arme).
Les conséquences du recul
Rappelons-nous que les efforts de recul interviennent dès la mise en mouvement du projectile, qu'ils induisent obligatoirement des mouvements de l'arme et que ces derniers se répercutent sur la trajectoire du projectile. Cette perturbation est d'autant plus importante que le mouvement de l'arme est important et que le temps de parcours du projectile dans le tube du canon est grand (faible vitesse du projectile et grande longueur de tube).
La réduction en un point (qui peut être le point instantané d'appui de l'arme) des efforts de reculs conduisent à un moment et à une force, variables en intensité et direction dans le temps. Ces efforts produisent des mouvements de l'arme d'autant plus dommageables pour la précision du tir que le moment stabilisateur (principalement main et poignet pour le pistolet et bras et épaule pour la carabine) est faible.
De plus, la main, le bras, l'épaule du tireur ne sont pas homogènes. Le mouvement de recul de l'arme modifie constamment la localisation et les caractéristiques des points d'appui de l'arme.
On a donc tout intérêt à diminuer les conséquences du recul. Pour cela, il faut :
- que la force de recul soit le plus possible dans l'axe de l'appui (assez facile à réaliser avec une arme longue, quasiment impossible avec une arme de poing; les règlements, en imposant un point d'appui situé en dessous de l'axe du canon (sauf pour le pistolet libre), ne facilitent pas la tâche du pistolier
- que la "fixation" de l'arme soit la meilleure possible : les supports doivent être verrouillés (main et poignet, bras et épaule), les points d'appui dans le plan vertical doivent être éloignés l'un de l'autre (fourche index-pouce et base de la main pour le pistolet, épaule droite et main gauche pour la carabine)
- que la configuration (notamment au niveau de la crosse) et l'équilibrage de l'arme soient compatibles avec la morphologie du tireur
- et surtout que toute la démarche liée à la tenue de l'arme soit parfaitement reproductible, pour que les perturbations liées au recul puissent être intégrées au processus de tir
Comment diminuer le recul ?
Le recul est toujours gênant; dans certain cas il peut être même dangereux pour le tireur. C'est notamment le cas de certaines armes de guerre, pour lesquelles les forces de recul sont suffisamment importantes pour que, sans mesures de réduction efficaces, elles éprouvent durement le tireur au départ du coup.
Dès lors, il s'avère souvent intéressant d'équiper l'arme de moyens susceptibles, soit de diminuer les forces de recul, soit d'en diminuer les effets.
Dispositifs qui diminuent le recul
Frein de bouche
Il s'agit d'un dispositif, placé à l'extrémité du canon, qui prélève une partie des gaz pour les dévier, voire les rejeter en arrière. Il en existe plusieurs géométries et sont en général constitués d'une série de fentes ou d'orifices placés perpendiculairement à l'axe du canon ou orientés vers l'arrière. Les phénomènes qui s'y produisent sont complexes, car outre la déviation d'une partie des gaz, le frein de bouche est le siège de toute une série d'ondes de choc et de leur réflexion, créant ainsi des niveaux de pression très différents entre les faces amont et aval des fentes.
Principe du frein de bouche
Remarque : l'efficacité du frein de bouche n'est réelle que si la pression résiduelle des gaz est grande. Il est pratiquement sans effet sur les armes de petit calibre et encore moins sur les armes à air comprimé. Si ces dernières sont équipées de "frein de bouche", ce n'est pas tant pour diminuer le recul, mais plutôt pour détendre rapidement les gaz et les dévier hors de l'axe du tube pour éviter qu'ils ne perturbent le projectile.
Masselottes
Il s'agit d'une ou plusieurs masses, coulissant sur un axe et amorties par frottement sec ou visqueux. Certains marteaux utilisent ce procédé pour augmenter leur efficacité. La "deux-chevaux" était équipée d'une suspension utilisant un principe semblable.
Amortissement du recul par une masselotte; schéma de principe
Les dispositifs suivants sont cités à titre informatif. On ne les rencontre pas (encore ?) sur les armes sportives :
Canon "sans recul"
Sur les armes de gros calibre, on peut réduire considérablement le recul en laissant échapper, par l'arrière, une grande quantité de gaz produisant une poussée vers l'avant, aux dépens, il est vrai, de la vitesse initiale du projectile. Pour permettre cet écoulement, l'étui est percé d'une multitude d'orifices. C'est le principe des canons dits "sans recul"; on devrait plutôt dire à faible recul.
Propulsion par fusée
Contrairement au mode conventionnel qui consiste à mettre en mouvement le projectile à l'aide d'une combustion organisée dans une enceinte fermée, la fusée utilise une combustion en milieu ouvert, les gaz sont accélérés et s'échappent au travers d'une tuyère. Du point de vue qui nous intéresse, l'avantage réside dans l'absence totale de recul. Cet avantage se paie par une consommation de "combustible" supérieure et une technologie assez évoluée. Son utilisation, sur les armes de gros calibre est aujourd'hui courante. Elle est exceptionnelle sur les armes de petit calibre. Dans ce chapitre, mentionnons que les américains ont développé une arme de poing utilisant de petits projectiles propulsés par fusée; cette arme possède une "force de frappe" considérable.
Dispositifs qui diminuent les effets du recul
Sans modifier l'importance de la force de recul, on peut en diminuer ses effets par :
- l'augmentation de la masse de l'arme et la modification de son centrage par la mise en place de contrepoids
- l'augmentation de la masse mise en mouvement en faisant corps avec l'arme. Comme nous l'avons dit plus haut, ceci augmente les forces dues au recul, mais diminue d'autant les mouvements de l'arme.
- le montage du canon sur un support souple, avec amortisseur pour dissiper de l'énergie. Ce procédé est surtout utilisé sur des armes de plus gros calibres que celles que l'on rencontre dans le cadre du tir sportif.
Conclusions
Le recul est inhérent au mode de mise en mouvement du projectile. On ne peut donc le supprimer dans une arme conventionnelle. L'arme bouge dès la mise en mouvement de la balle, donc bien avant qu'elle ne quitte le canon, pouvant entraîner, si des mesures appropriées ne sont pas prises, de fâcheuses pertes de précision.
Nous avons vu que divers procédés peuvent réduire le recul ou en diminuer les effets. Cependant, pour le tireur sportif, compte tenu du cadre dans lequel il évolue (règlements, calibres utilisés, types d'armes, etc.) ces mesures restent limitées. Il est donc "condamné" à accepter une arme qui bouge à chaque départ du coup.
Sa difficulté consiste alors à intégrer le mouvement de son arme dans le processus de tir qui, dès lors, doit être parfaitement reproductible, s'il veut que le mouvement de l'arme le soit aussi.
Michel PERRAUDIN
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